L’Afrique devient le berceau des coupures d’Internet

Article : L’Afrique devient le berceau des coupures d’Internet
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9 mars 2021

L’Afrique devient le berceau des coupures d’Internet

Malgré la pollution qui résulte de l’usage d’internet, il est clair qu’il s’agit d’un outil dont on peut de moins en moins se passer. Ces dernières années, internet est devenu un espace d’expression et d’échanges et de communication. Depuis peu, et encore plus avec les mesures de télétravail dues à la crise du coronavirus, internet est également un outil de travail. La grande connectivité des jeunes sur le continent ne cessant de s’accroître, internet a pris une grande place dans la communication et surtout dans la politique. Il est donc de plus en plus utilisé à des fins politiques. Que dis-je ? Coupé… Internet est de plus en plus coupé pour des raisons clairement politiques. Cette tendance est devenue un effet de mode, surtout en Afrique. Intéressons-nous aux récents exemples de coupures d’internet en Afrique pour mieux comprendre le phénomène et ses origines.

Des coupures d’internet aux quatre coins de l’Afrique

Si l’Afrique est souvent citée comme le berceau de l’humanité, elle n’est pas le berceau d’Internet. La connexion internet est l’une des moins bonnes au monde, avec des installations qui ne répondent pas aux besoins des internautes. Pourtant, les maigres efforts qui sont faits dans ce domaine accompagnent les différents utilisateurs d’internet. Preuve en est de la forte connectivité sur le continent africain. Cette forte connectivité est très appréciée par les politiciens pour faire passer leurs messages et se faire élire. Mais, ils se rendent parfois compte qu’internet peut aussi les déchoir assez vite de leur pouvoir ou du moins freiner certains de leurs élans. A ce moment où la panique gagne les gouvernants face à la réactivité et la force des réseaux sociaux, le seul recours pour eux est de couper internet.

Loin d’être liées aux pannes des installations techniques, les coupures d’internet sont volontaires, suscitées et même programmées par plusieurs Etats africains. Elles se multiplient à l’approche des élections ou durant les périodes « sensibles ». Elles sont même rentrées dans la coutume de bon nombre de pays africains. Derniers exemples en date, le Niger et le Sénégal. Au Niger, dans l’attente des résultats définitifs des élections présidentielles, internet a été coupé pendant dix jours. Quant au Sénégal, internet est coupé suite aux soulèvements qui découlent de l’arrestation de l’opposant politique Ousmane Sonko.

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Au Bénin, durant les dernières élections législatives, internet a été coupé pendant toute la durée du scrutin et au delà. Une situation politique tendue autour des élections qui avaient eu lieu sans qu’aucun parti de l’opposition avait servi de justificatif. La raison de la coupure était purement et simplement politique. Pour vous donner une vue de l’ampleur du phénomène, vingt-et-une (21) coupures d’internet ont été enregistrées en Afrique en 2018. Le Tchad, le Mali, le Cameroun, la République Démocratique du Congo, le Gabon, l’Egypte, pour ne citer que ceux-là ont connu des coupures d’internet ces dernières années.

On se rend compte que dans la plupart des pays d’Afrique où internet est coupé, il n’y a que des raisons ou des situations politiques en filigrane. Pourtant, c’est sans aucun scrupule que des fausses bonnes raisons de couper internet sont évoquées.

Les fausses bonnes raisons qui justifient les coupures d’internet

Bien que les crises politiques, débouchant sur des instabilités soient les principales causes de ces interruptions de la couverture du réseau internet, les gouvernants semblent vouloir retenir ceci comme un secret. Plusieurs fausses bonnes raisons sont régulièrement évoquées pour justifier ces attentats à internet.

La forte pénétration et la circulation à grande vitesse des fake news

les fake news en Afrique, facteurs de coupures d'internet

C’est l’excuse qui est souvent évoquée. Internet favoriserait la circulation rapides des fake news. Elles seraient préjudiciables du point de vue sécuritaires. Il faut reconnaître qu’internet contribue à la propagation des fausses nouvelles. Les gouvernants sont donc conscients de l’existence des fake news et des dangers qu’ils représentent. Mais, ce qui est inquiétant, c’est leur radicalité envers ces fake news uniquement lorsque leurs intérêts sont en jeu. Pourquoi ne pas utiliser la même vitesse et la même forte pénétration d’internet pour faire passer la bonne information, plutôt que de priver d’information. Il s’agit clairement de privation d’informations puisque les médias traditionnels ont de moins en moins le vent en poupe et sont très souvent instrumentalisés. L’absence d’informations peut clairement créer un climat anxiogène et provoquer d’autres tensions.

La mauvaise interprétation du niveau d’internet, le mépris envers les internautes

Internaute africain

En Afrique, les clichés sur internet ont la peau dure. Bien qu’il existe effectivement de nombreux tares et problèmes sur internet en Afrique, il faut dire que les gouvernants expriment un mépris qui ne dit pas son nom envers les internautes. Le premier symptôme de ce mépris est le coût d’internet qui va sans dessus dessous depuis ces dernières années. Le coût de la connexion internet s’est dupliqué dans certains pays. Au point où des gouvernants tiennent des propos très négatifs à l’endroit des utilisateurs d’internet. C’est tout simplement la preuve qu’internet dérange nos gouvernants. Ils ne se rendent pas forcément compte du potentiel et de l’opportunité qu’il peut représenter pour les jeunes Africains, mais pensent plutôt à s’assurer une gouvernance sans opposition ni critique.

L’insécurité, une bonne excuse pour mener des actions illégales

insécurité en Afrique

La question de la sécurité et du maintien de l’ordre dans des situations critiques est souvent évoquée. Il s’agit là d’une très grande insulte aux forces sécuritaires de nos Etats ou tout simplement un aveu de leur inefficacité. On a tous constaté avec désolation l’invasion du Capitole par les partisans de Donald Trump. L’enjeu sécuritaire était de taille, pourtant, internet n’eut pas besoin d’être coupé avant le retour de l’ordre et du calme.

En l’absence d’internet, le reste du monde est coupé d’un pays et inversement. Il peut donc s’y passer des choses qui seront de fait moins relayées qu’en cas de présence du réseau internet. C’est aussi un moyen simple pour les gouvernants de passer sous silence des actes répressifs à l’encontre des civils. Loin d’être une raison sécuritaire, ces coupures d’internet sont tout simplement des raisons de s’inquiéter de l’escalade de la violence et de l’usage de voies non autorisées pour rechercher la sécurité.

Il s’agit donc de raisons qui ne justifient pas vraiment les coupures d’internet, perpétrées par certains Etats africains. Si elles servent plutôt des intérêts politiques, ces coupures ont des impacts dangereux sur plusieurs plans.

Les dangers des coupures d’internet

Il faut se rendre compte que ces coupures d’internet tous azimuts sont très dangereuses pour trois raisons.

Des dégâts économiques non négligeables

femme ennuyée par les coupures d'internet en Afrique

Couper internet engendre des coûts incroyables. Pour un internaute qui a l’habitude de communiquer sur les réseaux sociaux avec ses collègues et sa famille, le préjudice est presque irréparable. Il est contraint d’effectuer ses communications sur la ligne normale. Ce qui revient beaucoup plus cher et qui réduit le temps de discussion et de partages d’informations. En termes de coûts, il faut évaluer des pertes beaucoup plus élevées pour les startups, les entreprises digitales et les entreprises en général pour peu qu’elles aient un fonctionnement qui est lié à internet. A titre illustratif, une coupure d’un mois au Soudan en 2019 a coûté plus d’un milliard de dollars au pays.

Des restrictions de liberté

Les coupures d’internet constituent des restrictions des libertés des internautes. Internet est aujourd’hui beaucoup plus qu’une technologie. C’est un espace de liberté où des espaces d’expression sont offerts à tous les internautes. La nécessité de protéger cette liberté d’expression a été reconnue par le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU dans une de ses résolutions. C’est aussi un moyen d’accéder à l’information, surtout quand on connaît la perte de vitesse des médias traditionnels dans ce domaine. Couper internet restreint ainsi les libertés d’expression, d’opinion, de penser des internautes. Ceci sans oublier le fait qu’il prive aussi les internautes dont l’activité économique est tributaire d’internet de leurs droits économiques.

coupure d'internet en Afrique - danger

Un signe de déliquescence de la démocratie

Le combat démocratique que mène les Etats africains depuis plusieurs décennies est émaillé d’embuches. Les coupures du réseau internet sont clairement des freins à l’ancrage de la démocratie dans nos Etats. De plus en plus de personnes ont accès à internet. C’est parfois le seul moyen pour elles de s’exprimer sur la gestion des affaires collectives. La privation d’internet, ne serait-ce que pour quelques heures est un frein à ces libertés sus-évoquées et une remise en cause des principes démocratiques auxquels les Etats africains essaient de se conformer. Les raisons qui justifient ces coupures en Afrique étant très politiques, leur impact sur la démocratie n’est clairement pas négligeable.

Couper internet en Afrique est devenu une technique courante. Les gouvernants n’hésitent pas à l’employer pour satisfaire des objectifs politiques. Ces objectifs politiques sont bien évidemment voilés par de fausses bonnes raisons. Pourtant, ces privations d’internet entraînent des conséquences graves. Ces conséquences sont perceptibles sur l’économie, sur la situation des libertés, des droits de l’homme et de la démocratie. Il est donc impératif qu’internet soit non pas coupé, mais plutôt utilisé par les dirigeants africains pour résoudre les crises auxquels nos Etats font face.

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