Pourquoi le Bénin communique à peine sur le terrorisme ?

Article : Pourquoi le Bénin communique à peine sur le terrorisme ?
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18 février 2022

Pourquoi le Bénin communique à peine sur le terrorisme ?

On a clairement vu que petit à petit, le terrorisme fait son nid dans le Nord du Bénin. Mais, face aux nombreuses tentatives de trouble à l’ordre public, les autorités béninoises réagissent vraiment timidement. En tout cas, pour ce qui est de la communication, il n’y a pas de grands efforts pour tenir les citoyens au jus de l’avancée des luttes anti-terroristes. Ce déficit en matière de communication reste un grand questionnement dans une situation, d’une gravité pareille.

Les autorités béninoises sont conscientes de la situation, mais la communication gouvernementale a, jusqu’ici, semblé en deçà de l’ampleur du phénomène. L’objectif était certainement de ne pas affoler les populations… Mais il est clair que l’on ne peut plus adopter une telle posture de minimisation du risque, pas plus, évidemment, que l’on ne peut être dans le déni de la réalité.

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Ici, nous essayerons de comprendre les raisons qui expliquent la sobre communication du gouvernement sur ces questions.

Une gouvernance marquée par une communication de crise très sobre

Si on doit jeter un regard sur la communication effectuée par le pouvoir en place, il faut remarquer qu’elle est très sobre lorsqu’il s’agit de crises. On pourra citer en exemple la crise électorale de 2019, où les manifestations ont conduit à plusieurs décès. Il faut ajouter la coupure d’internet que nous avons connue dans la même période, et qui n’a été justifiée par aucun document officiel du gouvernement. On peut aussi légitimement penser à l’étudiant assassiné durant une manifestation par les forces de l’ordre. Le silence fait clairement froid dans le dos, au point où on se questionne sur la compassion pour les familles éplorées ou les victimes. A partir du moment où il y a des problèmes sécuritaires ou de violation des droits humains, on croirait qu’ils sont en congés. Pourtant, il faut, même dans les situations de crises fournir une information d’Etat, fiable et sûre aux citoyens. L’habitude est une seconde nature, dit-on. L’absence de communication de crise s’est tout simplement répercuté sur la question du terrorisme. La gravité de ces faits sont sans pareils, mais comme d’habitude, on dirait qu’il ne se passe rien.

Le secret défense

On est plus habitué à entendre cette expression dans les films hollywoodiens, agrémentés par les agents secrets. Mais il y a dans le commandement de l’armée, ce qu’on appelle le secret défense. Il s’agit là des questions sensibles de sécurité et de souveraineté d’un Etat. Et le terrorisme fait partie de ces éléments. C’est donc légitimement, que les mécanismes de lutte contre le terrorisme que les Etats emploient sont rarement connus du public. Ici, on pourrait créditer le gouvernement du Bénin de ne pas réveler ces informations au nom de ce secret défense. On pourra s’appuyer sur les arrestations de nombreux suspects de terrorisme par les forces armées béninoises. Mais aussi, on pourrait dire que l’absence de communication est due à l’absence de méthodes pour lutter efficacement contre le terrorisme. Et on pourra ici s’appuyer sur la récurrence des attaques et sur le fait que les assaillants ont été neutralisés par les français alors qu’ils se retranchaient au Burkina-Faso. Bref, ça dépend ! On ne sait pas si cela est une raison évidente de ce silence gouvernemental. Mais, cela est une hypothèse très probable et qui n’est pas à exclure.

Le multilatéralisme dans la lutte contre le terrorisme

En effet, le Bénin n’est pas isolé face au risque terroriste. Ses voisins le sont également. Certains d’entre eux sont réunis au sein du G5 Sahel pour apporter une réponse coordonnée aux attaques terroristes qu’ils subissent. Les attaques dont le Bénin est victime se répètent dans la zone Nord du pays. Il s’agit des frontières avec le Burkina-Faso et le Niger, deux pays en proie à la menace terroriste. La dernière attaque a eu pour théatre le « point triple ». Et l’action des trois Etats qui se partagent ce point n’est pas encore coordonnée. La communication sur la sécurité de la zone en question n’est pas uniquement le fait du Bénin. Il faut d’abord que les Etats s’entendent sur la façon dont ils souhaitent assurer la sécurité de ladite zone, avant qu’éventuellement, des communications autour soient envisagées.

« Le Bénin ne saurait agir seul du moment où il y a le Burkina Faso, le Niger, le Togo et le Nigeria à côté qui ont déjà traversé des épreuves en terme de terrorisme. Le Bénin s’appuiera sur l’expérience de ces pays voisins pour pouvoir agir. » 

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La volonté de préserver la « Destination Bénin »

J’ai le sentiment que ces pays restent discrets pour plusieurs raisons. Déjà, au nord de ces pays, il y a des parcs naturels. Or, ces parcs sont entretenus pour pouvoir attirer des touristes. Ce ne sont pas des pays de tourisme de masse mais ils ont besoin de quelques milliers de touristes par an pour que le Trésor public puisse renflouer ses caisses. Ils ne veulent pas affoler les touristes nationaux ou internationaux.

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Cet avis résume assez bien une volonté, qui tient à un aspect économique et social. Le tourisme est l’une des priorités de développement du Bénin. La région nord du pays constitue l’un des atouts les plus intéressants pour les touristes. Surtout avec les pacs W et de la Pendjari. Voilà que ces parcs naturels deviennent les cibles des terroristes. On peut comprendre une communication timide afin de ne pas effrayer les touristes. L’un des marqueurs de cette position est la rareté, pour ne pas dire l’inexistence du mot « terrorisme » dans le discours public. On a jusqu’à présent parlé que de « braconniers ». Le dernier et seul communiqué du gouvernement béninois sur la question emploie encore l’expression. On pourrait dire qu’un déni semble planer.

Mais, le terrorisme n’est-il pas une raison assez grave pour susciter un bris de silence de nos gouvernants ? Ce silence est favorable à la prolifération des fake news et des informations aussi ubuesques qu’effrayantes pour les citoyens. C’est donc la responsabilité du gouvernement de communiquer en temps réel sur ce type d’attaques. Et surtout d’informer des dispositions prises pour améliorer la sécurité de la zone à risque. Une meilleure communication sur les questions de sécurité et de terrorisme s’impose.

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