Retraite des réformes

Article : Retraite des réformes
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19 avril 2023

Retraite des réformes

L’adoption de la réforme des retraites reste un des points saillants du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Cette réforme est annoncée par l’exécutif français comme une boussole nécessaire pour sauver le système par répartition qui prévaut en France (ce système de financement des retraites est fondé sur un pacte de solidarité intergénérationnelle : ce sont les cotisations des actifs qui financent les pensions). Malgré son adoption et sa promulgation expresse quelques heures après le quitus du Conseil Constitutionnel, la question divise encore. Au delà des bouleversements sociaux et de la crise sociale sans précédent qu’elle a instauré en France, cette réforme des retraites questionne le fonctionnement démocratique. J’ai envie de me demander si une réforme similaire – ou du moins d’une importance aussi grande – aurait eu le même effet dans le débat public sous les tropiques.

Laissez-moi vous dire d’entrée de jeu que je ne le pense pas, vu qu’ici on assiste plutôt à la retraite des réformes. J’explique dans cet article les raisons pour lesquelles une réforme comme celle des retraites en France serait passée crème en Afrique. La première est l’impuissance des syndicats.

Des syndicats condamnés à la retraite anticipée

En France, les syndicats jouent un rôle essentiel dans le débat autour de la réforme des retraites. Les organisations syndicales ont défendu et continuent de défendre les droits qu’ils considèrent comme bafoués par cette réforme. Et les figures les plus emblématiques de ce combat marquent eux aussi le parcours de cette réforme, de Laurent Berger de la CFDT ,à Gérard Martinez et Sophie Binet de la CGT. Et l’un des moyens de pression utilisés par les syndicats est la manifestation. Des centaines de manifestations ont eu lieu partout en France pour marquer les désaccords avec ce texte de loi. À cela, il faut ajouter les grèves qui ont constitué un réel moyen de pression pour tenter de faire avorter le projet. On a tous en mémoire les images des rues parisiennes bondées, avec des poubelles pleines et envahies par des rats en surpoids apparent suite à la grève des éboueurs.

Le problème dans le contexte africain est que le droit de manifestation et de grève est encore difficilement reconnu aux citoyens. Il n’y a que très peu de pays africains qui reconnaissent le droit de manifester librement, sans le restreindre exagérément ou le réprimer sévèrement. Et même quand il arrive que les citoyens décident de manifester et de faire savoir leur désaccord avec les politiques envisagées au sommet de l’Etat, la riposte de la force publique est trop souvent disproportionnée. Cette riposte s’est « intensifiée » d’après Amnesty International dans son rapport régional sur l’Afrique 2022.

Mais pour pouvoir manifester et revendiquer un meilleur respect de ces droits, il faudrait déjà que les concernés soient intéressés par les questions débattues.

Le désintérêt pour les questions d’intérêt général et public

Pour réclamer une eau de meilleure qualité, faut-il déjà que je me rende compte que l’eau que je consomme n’est pas de bonne qualité. C’est là que prend toute la source du manque de militantisme et d’engagement des citoyens africains à propos des questions d’intérêt général et d’intérêt public. La question des retraites, largement discutée à travers cette réforme des retraites en France, est-elle suffisamment connue des Africains ? Savent-ils qu’ils ont des droits et qu’en travaillant, ils méritent une retraite ? En fait, non. Très peu le savent. Et finalement, les systèmes de pension en Afrique ne sont peut-être pas adaptés. Mais personne, absolument personne ne s’intéresse à la question…et à tellement d’autres questions sur lesquelles l’avenir de nos Etats se joue. Mais j’ai l’impression que les seules lois qui nous intéressent sont les lois constitutionnelles. Pas dans leur entièreté, uniquement la disposition relative à la durée et au nombre des mandats. Le reste, on n’en a pas trop grand chose à faire. Ce désintérêt est clairement l’une des raisons qui pourrait justifier l’adoption incognito d’une réforme comme celle-là.

Mais, avant même que les citoyens ne manifestent un intérêt quelconque pour les questions qui touchent à leur vie quotidienne et sur les solutions que les dirigeants proposent, il faudrait que ces questions soient soulevées dans le débat public par des lois !

Une vie parlementaire maussade et en manque de dynamisme

Si ce n’est pour des coups de poings ou des dégustations parlementaires d’amuse-bouche, les parlementaires africains s’illustrent très rarement par des débats concernant des sujets d’intérêt général, à l’instar de la réforme des retraites. Généralement, les lois de ce type sont votées et adoptées à l’unanimité, sans véritables débats. Alors qu’en France, on a pu constater que le débat parlementaire autour de la réforme des retraites a suscité de vrais chamboulements au plan politique, avec des coalitions politiques circonstancielles. Des députés ont pu défendre des opinions à contre courant de celles de leur famille politique. Aurélien Pradié (député LR) en est l’exemple typique, même s’il faut reconnaître qu’il a perdu quelques plumes pour son entêtement… Ici, il faudrait déjà avoir l’opportunité d’exprimer un tel désaccord. Généralement, le Parlement est unanime sur certaines questions. Les débats deviennent virulents et ne prennent une grande ampleur que lorsque les primes et retraites desdits députés sont en jeu ou encore qu’il faut allonger ou réduire la durée des mandats. Les débats de fond sur des politiques qui influencent la vie publique des citoyens africains en ayant un réel impact sont rarement menés dans l’arène parlementaire. Résultat : une réforme comme la réforme des retraites serait passée crème.

C’est pour toutes ces raisons que je pense que la réforme des retraites (enfin, son équivalent) serait passée beaucoup plus facilement en Afrique. Je serai bien intéressé par votre avis sur la question. Les réformes, les vraies, sont-elles déjà à la retraite sur le continent ?

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