Coups d’Etat : une spécialité ouest-africaine loin d’être efficace

Article : Coups d’Etat : une spécialité ouest-africaine loin d’être efficace
Crédit: Iwaria
26 janvier 2022

Coups d’Etat : une spécialité ouest-africaine loin d’être efficace

On a longtemps cru que l’époque des coups d’Etat était révolue sur le continent. Mais, il n’en est rien au regard de l’actualité de ces dernières années. Coups d’Etat par ci, Coups d’Etat par là. L’Afrique a trop souffert de ces transitions non démocratiques. Et c’est l’Afrique de l’Ouest qui se constitue en hotspot des putschs sur le continent. Dernier exemple en date : le coup de force de mutins au Burkina-Faso. Je vous propose d’analyser la pratique sur les dernières années. Et surtout l’impact de ces putschs sur la vie des Etats dans lesquels ils sont intervenus.

Le coup d’Etat : une tradition ouest-africaine

Comme on veut aisément le constater sur cette carte récapitulative des coups d’Etat sur les soixante dernières années, l’Afrique de l’Ouest est le point chaud des putschs. Cette pratique a surtout couru aux lendemain des indépendances. Les transitions démocratiques se faisaient rares au détriment des transitions militaires.

L’instabilité et l’insécurité institutionnelle qu’engendrait ces coups d’Etat n’était pas véritablement profitable aux Etats où ils étaient perpétrés. Le passage à des régimes démocratiques dans la région a favorisé la réduction des putschs. Malgré tout, il y en avait quelques uns de temps en temps. On peut clairement constater cette baisse depuis le début du 21ème siècle. Et c’est la conséquence directe de la Déclaration de Lomé qui a intégré la suspension des Etats où les putschs sont perpétrés de l’Union Africaine. Depuis, l’UA a exercé ce pouvoir de suspension 14 fois.

Quand il n’y en a pas qui réussissent, c’est qu’au moins les militaires tentent de prendre le pouvoir par les armes. Les coups d’Etat restent une tradition africaine en général. Mais, les Etats d’Afrique de l’Ouest semblent nostalgiques de la période où les coups d’Etat étaient monnaie courante. La Guinée, le Mali à deux reprises, le Tchad voisin et le Burkina-Faso en l’espace de quelques mois, ont connu des putschs. Et c’est sans mentionner les tentatives de putschs qui ont échouées.

On peut penser que les militaires ouest-africains semblent bien déterminés à perpétuer la tradition des coups d’Etat en Afrique. Il n’est pas inutile de s’interroger sur les raisons de tels coups de force à répétition sur le continent.

Les militaires disent vouloir remettre de l’ordre par les coups d’Etat

Il faut se demander dans quels contextes les coups d’Etat interviennent en Afrique de l’Ouest. Laissons de côté les nombreux putschs qui ont émaillés la fin du siècle précédent. Intéressons à ceux qui ont été perpétrés depuis le début des années 2000. La principale raison que les militaires évoquent pour arracher le pouvoir sont la mauvaise gouvernance et ses corrollaires. On reproche aux gouvernements en place de s’éterniser au pouvoir, d’encourager la corruption, de ne pas défendre l’intérêt national… Des raisons qui sont le plus souvent fondées et pour lesquelles les militaires reçoivent le soutien populaire. On peut évidemment penser pour illustrer cette approbation et validation populaire des exemples récents de la Guinée et du Mali. L’objectif affiché des putschistes est toujours de vouloir remettre l’ordre.

Il n’y a qu’à s’intéresser aux dénominations des comités et des déclarations faites pour se rendre compte de cette volonté affichée de changer les choses. En Guinée, on a vu apparaître le Comité National du rassemblement pour le Développement (CNRD) après le putsch de 2021. Au Burkina-Faso, c’est le Mouvement Patriotique de la sauvegarde et de la restitution qui est apparu il y a quelques jours. Au Mali, en 2012, on parlait de Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État. Plus récemment, suite à la prise de pouvoir des hommes d’Assimi Goïta, on a vu naître le Comité national pour le salut du peuple (CNSP). La volonté affichée des putschistes est généralement de remettre le peuple au coeur de l’action.

Sauf qu’en voulant remettre de l’ordre, les putschistes remettent d’abord en cause l’ordre démocratique, que l’on sait déjà difficile à établir en Afrique.

La remise en cause de l’ordre démocratique par les putschs

La conséquence directe des putschs et des coups d’Etat est la dissolution de la Constitution et des institutions de la République. Ce qu’il restait des acquis démocratiques dans ces textes se voient ainsi dissous. Le putsch entraîne automatiquement une situation d’insécurité juridique qui ne dit pas son nom. Et qui est surtout la porte ouverte à tout type de dérives. Le recul de la démocratie est encore plus grand. La légitimité des putschistes ne se mesure pas à l’aune des manifestations et des déclarations de soutien. Le seul moyen de légitimer quoi que ce soit est l’expression populaire par les voies démocratiques définies. Et pour cela, il est nécessaire que les putschistes rétablissent dans le plus bref délai l’ordre démocratique. Remettre l’ordre ne doit pas et ne peut pas aller au delà du rétablissement d’un ordre constitutionnel immédiat.

On ne peut pas dire d’emblée que les intentions des putschistes sont mauvaises. Et on ne peut pas non plus dire d’emblée qu’elles sont bonnes. La situation de ces pays où les putschs sont perpétrés est complexe. Les populations souffrent de la mal gouvernance et de l’inaction des gouvernants en faveur du développement. Aussi, l’insécurité galopante et le terrorisme fait rage, sans que de réelles solutions ne soient apportées. En même temps qu’ils souhaitent voir un renouvellement de la classe politique, il y a la volonté de la conservation et de l’amélioration de la démocratie. C’est ce dernier point surtout qui n’est pas satisfait par la pratique du coup d’Etat. L’effet domino des putschs n’est pas maîtrisable. Et c’est là que tout devient compliqué. Ne me demandez pas de vous dire ce qu’il faut faire. Je me pose aussi la question. Au moins, on peut tenter de prévenir les putchs.

Une possible prévention des putschs

La première façon de prévenir la survenue de ces coups d’Etat est la bonne gouvernance. Les gouvernants se doivent d’être à l’écoute du peuple. Il est important qu’ils oeuvrent pour la bonne gouvernance. Le deuxième moyen est d’éviter à tout prix l’absence d’alternance politique démocratique. C’est un cercle vicieux. L’absence de transitions démocratiques entretient un climat favorable à la destitution des gouvernants qui s’éternisent au pouvoir. Les coups d’Etat sont un moyen d’y parvenir, sauf qu’ils entraînent une instabilité et une insécurité, contrôlée ou non pas les putschistes. Le Colonel Doumbouya a d’ailleurs justifié son putsch par ce motif. C’est également à ce niveau que la communauté internationale doit intervenir pour prévenir ce type de prises de pouvoir. Il est important de ne pas légitimer les dirigeants qui s’éternisent au pouvoir et qui chamboulent l’ordre constitutionnel pour garantir leur maintien au pouvoir. Peut-être, faut-il réinventer la démocratie à l’africaine.

« L’action la plus significative que la communauté démocratique internationale puisse prendre pour inverser la tendance des coups d’État en Afrique est d’encourager la démocratie »

Joseph Siegle in Les coups d’État en Afrique et le rôle des acteurs extérieurs

Que retenir ?

La conclusion à laquelle on arrive est que les putschs cherchent à résoudre un problème, alors qu’ils en créent de nouveaux. S’il faut préférer les effets d’un putsch à ceux d’une mauvaise gouvernance, je ne saurais faire un choix tranché. Votre avis m’intéresse de toute façon. Mais, ce qui est plus sûr est qu’il y a des moyens de prévenir la survenance des coups d’Etat. Il s’agit aussi bien d’éléments de politique interne que d’éléments de politique internationale.


Sources mobilisées :

Partagez

Commentaires

Kadoukpè Babaodi
Répondre

Bravo pour ce merveilleux article. C’est exactement ce que je pense par rapport aux coups d’État. Il faut questionner l’histoire pour se rendre compte que la gestion des affaires par les militaires malgré toute leur bonne foi est pour la plupart du temps, chaotique au plan démocratique, au plan économique etc.

Les questions de lutte contre le terrorisme que les mutins brandissent ne sont pas des questions à solutions miracles. À cet titre, le Feu Idriss Deby Itno, Maréchal de son état a laissé sa peau dans cette lutte( ne me regarde pas comme ça, c’est La raison officielle de sa mort). A chaque coup d'état, nous reculons drastiquement au plan de la démocratie.
Il va s’en dire que malgré les forces de leur muscle, les militaires doivent travailler à confier le pouvoir aux civils afin que les institutions démocratiques fonctionnent normalement.

Foumilayo Assanvi
Répondre

Merci pour ce commentaire !