Le football ne peut pas être la priorité des Africains

Article : Le football ne peut pas être la priorité des Africains
Crédit: Iwaria
23 février 2022

Le football ne peut pas être la priorité des Africains

La CAN 2021 est terminée ! L’euphorie est redescendue. C’est le moment parfait pour se regarder en face et se dire un certain nombre de vérités. Je tiens à préciser avant tout que je suis un grand fan de football. J’ai pris beaucoup de plaisir à suivre la dernière Coupe d’Afrique des Nations (CAN). Pour moi, le football ne peut pas être la priorité des Africains. Bien entendu, cet avis risque de ne pas être partagé par beaucoup, mais je montre dans cet article que l’Afrique ne peut pas faire du cuir rond sa priorité.

D’où part ce raisonnement ?

On a reproché beaucoup de choses aux pays organisateurs de la CAN. D’ailleurs, il s’agit d’un des évènements les plus difficiles à organiser sur le continent. La belle preuve, la CAN 2021 se joue en 2022. Et jusqu’à quelques jours de la compétition, des doutes planaient sur la tenue ou non de l’évènement. Je ne veux pas ici encourager la corruption ou la médiocrité dans l’organisation de ces compétitions. Il est important de veiller à ce que lorsque des fonds sont dégagés pour l’organisation d’un tournoi, que les ressources soient versées effectivement à cette fin. Le but de mon article n’est clairement pas d’entériner les fiasco financiers derrière l’organisation d’évènements comme la CAN.

Mais, ce qui m’inquiète est que l’Afrique est le continent par excellence du sous-développement. Doit-on faire du sport en général et du football en particulier une priorité quand on sait tous les défis, ô combien importants, auxquels le continent est confronté ?

De grands stades pour quoi faire ? Des concerts ?

L’un des problèmes soulevés durant chaque Coupe d’Afrique des Nations, de façon presque systématique est la qualité des infrastructures. Comme je le disais, je ne veux pas encourager la médiocrité ou la construction d’infrastructures défectueuses. Mais, arrêtons-nous un moment pour nous demander si les éléments devant accompagner la construction de telles infrastructures sont réunies. L’Europe, qui est le principal modèle que nous suivons, organise sa compétition continentale, généralement sans avoir à construire de nouveaux stades. Les stades existent déjà et servent à animer la vie des clubs, des championnats et des ligues nationales. Il s’agit donc, non pas de se précipiter pour construire des infrastructures qui n’accueilleront qu’une compétition pour après célébrer le vide.

En Europe, le pouvoir d’achat des fans leur permet d’acheter des tickets pour assister aux rencontres et participer à l’économie des clubs et des championnats. Ici, dans la grande majorité de nos pays, les championnats se jouent par intermittence, au gré de l’humeur des dirigeants des fédérations. Les clubs n’ont pas de soutien financier, ni de sponsors. En Afrique, les entreprises ne financent pas le football, encore moins le sport. Et les gens n’ont pas les moyens d’aller au stade. On l’a bien remarqué durant cette CAN 2021, où les stades étaient bien vides quand le pays hôte ne jouait pas. N’eût été certaines mesures incitatives, les tribunes seraient restées vides.

A quoi bon construire des infrastructures de 30, 40, 60 000 places quand on sait qu’il n’y a aucune rencontre de championnat qui s’y jouera. Et que si éventuellement une rencontre s’y joue, il n’y aura pas de spectateurs, vu que les places sont trop chères. La vérité est que ces stades se transformeront assez rapidement en salles de concert géant. C’est bien ce à quoi ils finissent par servir en Afrique.

La difficulté est qu’on veut résoudre le problème à l’envers

En soi, investir dans le sport et le football n’est pas si mauvais. Cela peut être bénéfique sur le plan économique et social. Il n’y a pas de doute à ce sujet. Par contre, il faut enchaîner les pas les uns après les autres. Sinon, on risque de s’emmêler les pinceaux. Pour rester dans le domaine du sport, la construction de stades doit s’accompagner d’un contexte favorable à l’exploitation du plein potentiel de l’infrastructure. Il ne sert à rien de construire des stades pour que les cafards en soient les principaux locataires. En dehors de l’économie sportive qui doit être dynamique, il ne faut pas oublier l’aspect économique général des Africains.

Le nombre d’Africains vivant sous le seuil de pauvreté est bien trop élevé pour permettre à ceux-ci de s’offrir des places pour assister des à matchs de football. On ne pense pas à aller au stade quand on a faim, qu’on n’a pas d’eau potable ou quand on n’a pas d’électricité. C’est pour moi la résolution de ces problèmes essentiels qui doivent concentrer l’attention des Etats Africains. Donner à chaque citoyen les moyens de vivre décemment. A partir du moment où le pouvoir d’achat général sera réhaussé, on pourra faire fonctionner l’économie sportive. Tant que les fonds publics financeront essentiellement le football et le sport africain, il ne pourra pas décoller. Construire des stades de 50 000 places n’y changera rien.

Pour appuyer mon argumentation, intéressons-nous au financement du football africain. « Les finances de la CAF s’inscrivent dans un déficit structurel, c’est-à-dire un déficit d’année en année ». L’instance faitière du football africain est dans le rouge. De l’autre côté, le budget de l’UEFA par exemple ne cesse de s’accroître.

Les citoyens français sont les premiers financeurs du sport en France. Ils ont dépensé 17,3 milliards d’euros en 2017 d’après le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur l’économie du sport et même 19,9 milliards d’euros selon l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire. Suivent les entreprises, avant d’évoquer l’apport de l’Etat et des collectivités territoriales. Et si on veut élargir aux grands pays d’Europe, les sources de financement du football sont essentiellement la billetterie, le sponsoring ou le merchandising et les droits télévisuels. Aucune de ces sources de financement n’est viable en Afrique. Les gens ne vont pas au stade. Les entreprises ne sponsorisent pas le sport et les matchs se jouent dans le plus grand anonymat.

Que faire pour faire rayonner le football africain ?

Ce que je dirai ici paraîtra fou, mais c’est selon moi la voie à suivre. Pour faire rayonner le football africain, la première étape est de ne pas faire du football une priorité. Les Etats africains doivent penser à résoudre les problèmes essentiels de la population. L’eau, l’électricité, la santé doivent être accessibles pour tout Africain. Il faut ensuite donner de l’emploi, qui permettra de rehausser le pouvoir d’achat. La création d’emploi est l’apanage des entreprises, que les Etats doivent accompagner en créant un cadre propice au climat des affaires.

Plus ces entreprises seront florissantes, plus elles recruteront de la main d’œuvre et plus de personnes pourront avoir un meilleur pouvoir d’achat. Ainsi, ils pourront payer des entrées pour assister aux matchs de football. Les sponsors pourront sponsoriser les clubs. Et financer le football et son développement. On ne peut pas à l’heure actuelle faire du football et de la construction de grands stades une priorité de développement. Surtout quand il n’y a pas un minimum de progrès social. C’est inutile et sans effet.

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Commentaires

Mawulolo
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Billet d'une lucidité déconcertante. Mais certains ne veulent pas comprendre ça et vont te dire que tu exagères.
Je suis parfaitement d'accord avec toi.

Foumilayo Assanvi
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Merci beaucoup !