Quand le climat de guerre menace le climat
Depuis plusieurs semaines, l’invasion russe en Ukraine est annoncée comme le début de la troisième guerre mondiale. Une guerre, dont on voit déjà les effets quotidiens avec les attaques, les bombardements et les incursions russes dans les grandes villes ukrainiennes. Moi, je n’ai jamais vécu la guerre. Mais, je suis persuadé que la situation que vit l’Ukraine n’est pas souhaitable et n’est pas à souhaiter. Quelques soient les raisons, les intérêts et les forces en présence, rien ne devrait justifier la guerre, nulle part dans notre monde. Cette guerre occupe tellement les médias, qu’on entend pas parler d’autres enjeux planétaires importants. Et l’environnement est clairement rangée dans les tiroirs en attendant la prochaine COP. Pourtant, la guerre en Ukraine est tout aussi urgente que la sauvegarde de notre planète. Dans ce billet, je joins ces deux urgences. Comment la guerre peut impacter la crise climatique et la renforcer ?
Le climat, une arme de guerre
Le climat peut être impliqué dans les conflits. Et la manière dont certains l’utilisent est inimaginable. Le climat est utilisé par les protagonistes comme une arme. C’est-à-dire que le climat est utilisé pour attaquer ou répliquer aux attaques des adversaires. Les Etats-Unis constituent l’exemple le plus concret de cette pratique. Durant la guerre du Vietnam, les américains se heurtent à la grande forestation, qui les empêche de bombarder leurs adversaires. Ils mettent alors en place l’agent orange, un puissant herbicide, qu’ils aspergent pendant 10 ans au Vietnam. Près de 20% de la superficie du pays a été touchée, provoquant la déforestation, des cancers et des malformations. La flore, était une arme de défense pour les vietnamiens. Mais, les américains ont décidé de la détruire avec un produit chimique. Les Etats-Unis se rendaient là coupable d’un écocide d’école.
La destruction délibérée l’environnement, et surtout à des fins conflictuelles, n’était pas encore pris en charge par les normes internationales. Il a fallu cet écocide américain au Vietnam pour attirer l’attention sur la nécessité d’interdire ce type d’agissement. « C’est finalement en mai 1977 que la Convention sur
l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toute autre fin hostile fut ouverte à la signature et ratification, pour entrer en vigueur le 5 octobre 1978. » Malgré tout, il ne faut pas se fier à cette convention, dont les contours sont encore très flous. Les modifications du climat à des fins militaires y sont dites interdites, pendant que celles à des fins pacifiques ne le sont pas. On se rend compte qu’il n’y a pas encore dans ce texte une véritable prise de conscience de l’effet de ces modifications du climat sur la nature. La Chine, elle, compte bien profiter de cette brèche. Elle a annoncé vouloir étendre les « manipulations météorologiques » engagées depuis 2002 sur plus de la moitié de son territoire en 2025.
Il est évident que le climat a déjà été utilisé comme une arme de guerre. Et il ne faut pas que cela se répète, même si les instruments juridiques actuels ne sont pas très fiables. Encore plus, avec la menace d’usage de l’arme nucléaire dans le conflit russo-ukrainien. Et on connaît d’ores et déjà les effets que l’usage de l’arme nucléaire aura sur notre environnement. Au delà de l’arme nucléaire, il faut constater que la guerre a de nombreux effets sur le climat.
« Globalement, l’intérêt stratégique des forces russes pour les infrastructures énergétiques (nucléaires ou autres) est inquiétant car les risques environnementaux en cas d’impact sont énormes. »
Marie-Ange Schellekens Gaiffe, Ukraine : l’environnement, victime collatérale ?
Les effets de la guerre sur le climat
Pour nous rendre compte de l’ampleur de l’effet de la guerre sur le climat, je vous propose de nous appuyer sur le rapport du Comité International de la Croix-Rouge « Quand la pluie devient poussière« . Le premier chiffre qui me frappe est celui-ci : « 60% des 20 pays les plus vulnérables au changement climatique selon l’indice ND-Gain sont en proie à un conflit armé ». Ce qui signifie que les conflits armés renforcent la vulnérabilité des pays face aux changements climatiques. Un des nombreux exemples de cette vulnérabilité se traduit par la famine et la présence des stations météorologiques. D’après la FAO, en 2018, « 14 des 34 pays en situation de crise alimentaire ont souffert en 2017 des effets combinés d’un conflit et de chocs climatiques ».
L’exemple des stations météo vient entériner le fait que les conflits armés renforcent les inégalités dans la crise climatique. « La République Centrafricaine dont la superficie fait le double de celle de l’Allemagne, compte
seulement 14 stations météorologiques, soit 0,2 pour 10 000 km2. » Alors que l’Allemagne en compte « 166, soit 3,5 pour 10 000 km2 ».
Les effets d’une guerre ne se mesurent pas seulement à l’aune des pertes en vies humaines. Des effets indirects surviennent et impactent durablement les générations futures, pour lesquelles le droit à un environnement doit être garanti. Un conflit provoquant environ 2500 morts a pour conséquence de réduire l’espérance de vie d’un an, d’accroître la mortalité infantile de 10%. Et d’augmenter d’1,8% la part des populations privée d’accès à l’eau potable. Ces chiffres sont le fruit d’une étude menée en 2012.
Aussi, faut-il remarquer que pendant les guerres et les conflits, il est clair que la dégradation de l’environnement ne s’arrête pas. Aux effets de la guerre, s’ajoutent les effets classiques du réchauffement climatique. La conséquence est clairement une plus grande vulnérabilité des zones de conflit. Que ce soit sur la santé, sur l’alimentation, les effets sont importants. C’est donc la raison pour laquelle il faut se demander si les nouvelles guerres n’annihilent pas les maigres efforts de sauvegarde de l’environnement.
Une nouvelle guerre, l’anéantissement d’efforts climatiques
On sait déjà combien les négociations diplomatiques sur le climat sont complexes et difficiles à mener. Surtout, elles demandent que tous les Etats du monde soient sur la même longueur d’onde. Pourtant, cette guerre n’ira bien évidemment pas dans le sens du maintien d’une unité d’action au plan environnemental. Les clans qui se formeront autour de cette guerre pourraient s’opposer au moment de la discussion des questions environnementales. On voit la Russie, soutenue par la Chine et l’Inde, respectivement 4ème, 1er et 2ème pollueur au monde, retarder la lutte contre les changements climatiques. On se doute bien qu’il ne faudra pas s’attendre à voir les russes participer de bonne foi aux prochaines COP ou aux grandes décisions environnementales, après la salve de sanctions qu’elle a subi au lendemain de son invasion de l’Ukraine. Et si leurs alliés asiatiques se rallient à cette cause, il sera difficile, voire impossible de faire avancer la cause climatique.
En dehors des impacts immédiats de cette guerre, on pourrait donc assister au report, encore une fois, des actions concrètes en faveur de l’environnement. La guerre pourrait donc encourager en fin de compte un endiguement des efforts déjà insuffisants de la communauté internationale. Et le grand perdant dans cette guerre, sera encore la planète comme toujours. L’idéal serait que les Etats se retiennent d’entrer en guerre sur les sujets environnementaux. Qu’ils puissent garder une certaine lucidité sur le fait que la protection de la planète profite à tout le monde, qu’on soit pro ou antirusse. Cela pourrait permettre à la cause environnementale de ne pas être ralentie, par un conflit dont l’avenir est encore jusqu’à présent flou.
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