Dédicaces, le business derrière les hits dans la musique africaine
La musique m’accompagne dans mon quotidien. Il y a quasiment toujours un morceau qui accompagne mes lectures, mes balades et même mes siestes. Peut-être même qu’en lisant cet article, vous êtes bercés par une belle mélodie. En dehors de la mélodie et de l’ambiance que peut mettre une chanson, je m’intéresse énormément aux paroles des chansons que j’écoute. J’essaie au maximum d’en tirer l’avis des artistes sur des sujets donnés. La COVID19, l’écologie ont déjà fait l’objet de cet exercice. Aujourd’hui, je m’intéresse à une particularité de la musique africaine : les dédicaces. Il y en a dans quasiment tous les morceaux, à croire qu’elles font partie de la recette pour faire un hit.
Aucun style musical n’y échappe
En fait, il ne faut pas singulariser l’usage des dédicaces à la musique africaine. Il y a énormément de styles musicaux. Et quasiment aucun d’entre eux n’échappe à la dédicace. Et on peut clairement voir que les dédicaces des artistes ne sont pas sans effet. Récemment, Orelsan a cité une spécialité d’un restaurant caennais dans son dernier album. Résultat : la spécialité « Sauce Magic Beau gosse » est plus que demandée. Et la fréquentation du restaurant a explosé. La dédicace n’est plus une surprise dans le rap et la musique urbaine. Il y a aussi d’autres styles où on entend clairement des dédicaces. On peut penser ici au zouk, aux musiques afro et traditionnelles… Le style musical n’influence pas la présence de dédicaces dans les morceaux. Mais, il faut constater qu’en Afrique, la musique est beaucoup plus marquée par les dédicaces, qui sont presque devenues une formalité.
D’où part le phénomène des dédicaces dans les musiques africaines ?
Pour comprendre les origines de la répétition des dédicaces dans la musique africaine, il faut s’intéresser à la musique congolaise. Certains diront que le Congo est le berceau de la musique africaine. C’est aussi le berceau de la dédicace. La rumba congolaise a grandement popularisé le phénomène des dédicaces sur le continent. Il faut dire que c’est la jetset et les Aafricains de la diaspora qui ont commencé à se faire dédicacer les chansons congolaises.
Plus connues sous le nom de « libanga » ou « pierres précieuses », la dédicace était un moyen de confirmer un rang social donné. Comme une sorte de validation par l’artiste de la réussite, du succès, de la notoriété du dédicacé. C’est donc au Congo que la vague des dédicaces a commencé. On a vu des chansons où les dédicaces semblaient être les principales paroles. On peut dénombrer environ 220 dédicaces dans le morceau « Libérez de JB Mpiana en featuring avec Wenge BCBG« . Une bonne centaine dans le morceau « Fidélité d’amour » de Werrason. Ou encore le titre « Magie » de Koffi Olomide, qui compte plus de 80 dédicaces.
Si la dédicace a pris sa source dans la musique congolaise, elle n’a pas tardé à se propager un peu partout en Afrique. Les « libanga » ont vite fait de séduire les autres artistes du continent. A commencer par la musique ivoirienne, qui a décliné sa propre version des dédicaces : les « atalaku » ou les « spots ». Les artistes africains ont clairement attrapé le virus de la dédicace. A croire que la réussite d’un morceau est conditionnée par la présence de dédicaces. Tous les faiseurs de tubes du continent s’y sont mis et toute la nouvelle génération d’artistes a intégré les dédicaces dans son style. Le phénomène s’est développé et a permis à beaucoup d’artistes d’engrenger une source de revenue supplémentaire.
Qui sont ceux que les artistes dédicacent ?
Vous l’aurez sûrement remarqué. Vous et moi, n’avons pas nos noms dédicacés dans les chansons les plus célèbres. C’est clair qu’il ne faut pas être Monsieur Tout-le-monde pour se faire dédicacer. Les profils des dédicacés sont tout aussi variés que surprenants.
– Les autorités politiques
Les politiques se servent de leur influence politique pour réclamer des dédicaces dans les morceaux. En fait, on ne sait pas s’ils les réclament ou si ce sont les artistes qui essaient de s’octroyer les bonnes grâces de ces politiques. Dans chaque pays, il est clair que le Chef de l’Etat apparaît en grand nombre dans les chansons. On entend souvent les artistes les remercier pour ce qu’ils feraient pour la culture. Ils dédicacent aussi d’autres autorités politiques comme les maires, les ministres de la jeunesse et de la culture… On l’aura compris, les politiciens sont en pole position des dédicacés.
– Les personnalités publiques
On retrouve tout type de personnages publiques qui se retrouvent à bénéficier des dédicaces. Des artistes, des comédiens, des sportifs ou des mécènes… Le point commun entre elles est leur popularité et leur notoriété. Elles sont toutes populaires et connues du grand public. Ou elles le deviennent grâce aux chansons dans lesquelles elles sont dédicacées
Crédit : Pexels
– Les maisons de production
Blue Diamond, Fekema Prod, 92i Africa… Elles se font citer par leurs artistes. Comme pour identifier le morceau de sa maison de production. Quand il n’y a pas de maison de production, ce sont les producteurs qui sont dédicacés. C’est ainsi que le public a identifié les morceaux de Kerozen à Emma Dobré ou de Suspect 95 à Jules Beco. C’est également le cas des membres du staff ou de l’équipe de l’artiste, qui bénéficient aussi de dédicaces.
– Les marques
De plus en plus, les marques investissent le marché des dédicaces. Elles ont bien compris que les chansons des musiciens africains pouvaient être d’excellents espaces publicitaires. Sauf qu’on peut se poser des questions sur l’influence de ces marques sur les auditeurs. On y retrouve par exemple plusieurs marques d’alcool. Duchesse de Chateau fort, Chivas ou encore Johnnie Walker sont les breuvages qui se disputent le marché des dédicaces dans les morceaux et les clips.
Les dédicaces, un business parallèle dans la musique africaine
S’il est vrai que le bassin des personnes que les artistes africains dédicacent dans leurs morceaux est large, il est tout aussi vrai qu’ils ne dédicacent pas au hasard. On ne peut pas attester du fait que toutes les dédicaces dans les musiques africaines sont rémunérées. Au moins, on peut remarquer qu’une grande partie le sont.
Crédit : Iwaria
De 300 euros à plus de 10000 euros, c’est approximativement ce que peut coûter une dédicace. Le coût varie en fonction du type de dédicace. Il peut s’agir d’une simple dédicace ou même d’un morceau entier. Ce business permet aux artistes d’engranger des revenus fixes, indépendamment du succès de leur musique. Le véritable problème est l’influence que les dédicaces peuvent avoir sur les auditeurs. Surtout pour les marques d’alcool, de tabac ou de stupéfiants, qui se font octroyer de plus en plus de dédicaces. Les effets des dédicaces, qu’on le veuille ou non, sont d’augmenter le capital sympathie des dédicacés auprès des auditeurs. Pourtant, il faut avoir quand même de la retenue face à ces dédicaces à tout va.
On retient que les dédicaces ont une grande empreinte sur la musique africaine. Il n’y a presque pas un tube africain sans dédicace. Il faut être quelqu’un, comme on dit, pour bénéficier d’une dédicace. Et surtout, c’est un moyen de s’attirer la sympathie des mélomanes. Ce qu’il faut retenir surtout, c’est que la dédicace se vend cher, et même très cher. Ainsi, on peut voir des artistes promouvoir à travers des dédicaces des marques et des produits, pas très recommandés. C’est là qu’il faut que l’artiste devrait faire une sélection sur qui il dédicace ou pas. En attendant, je retourne écouter un bon morceau de musique, avec ou sans dédicace. Et vous ? A quand votre dédicace dans le morceau de votre artiste préféré ?
– Couleurs Tropicales, La spéciale phénomène dédicaces avec Kerwin Mayizo, RFI du 25/12/2009
– Le Nouvel Afrik, Le business des dédicaces dans la musique congolaise, 24/03/2004
– Fally Ipupa : je prend entre 3000 et 5000 euros pour citer un nom dans mes chansons!, 2021
– Addictions France, Ce que révèle Cash investigation sur le marketing de l’alcool
– Cash Investigation : Les stratégies pour nous faire boire
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