Restitution des trésors royaux béninois, un retour à l’anormal ?
Les gouvernements du Bénin et de la France ont ces dernières semaines communiqué à suffisance sur la restitution des œuvres béninoises pillées durant la colonisation. C’est bien évidemment une merveilleuse décision pour les Béninois, en particulier, et les Africains en général. Ceci est un véritable signe de la réappropriation d’un patrimoine et de certaines pages de notre histoire, qui nous ont été arrachés. Il est donc très salutaire d’avoir pris une telle décision aussi bien au plan culturel, historique, mais aussi du point de vue de la nouvelle relation dans laquelle la collaboration franco-africaine entend s’inscrire. Une fois qu’on s’entend sur le bien fondé de cette restitution, qui peut être vue comme un retour à la normale, il faut aussi voir cette restitution comme un retour à l’anormal. Car, l’art au Bénin est un secteur très mal structuré et dans lequel les acteurs sont encore en gestation.
Ce billet veut faire un état des lieux de l’écosystème de l’art au Bénin. Mais pour bien comprendre la démarche, il n’est pas inutile de commencer par décrire le cadre dans lequel les œuvres d’art en question étaient en France.
Un exil royal pour ces 26 œuvres d’art béninoises
Les 26 œuvres d’art béninoises pillées durant la colonisation ont été exposées au Musée du Quai Branly à Paris. Ce musée offre essentiellement à découvrir des œuvres africaines et leur histoire. Il faut dire que plus d’un siècle après que ces œuvres aient été arrachées à leur environnement naturel, elles brillaient de mille éclats lors de leur exposition d’adieu au Quai Branly. Cet exil peut même être considéré comme étant une bouée de sauvetage, venue à point nommé pour ces trésors royaux. Quand on remarque l’état des trésors royaux restés au pays, on se dit que les œuvres pillées ont eu de la chance. La conservation et la valorisation par les politiques culturelles françaises leur ont permis de traverser les âges. Et surtout de témoigner de l’histoire et du passé du royaume du Danxomè.
De plus, elles ont été des ambassadrices de la culture et de l’histoire béninoise, bien qu’étant en terre étrangère pendant toutes ces années. Une chose est de dire que les objets d’art restituées étaient conservés et valorisés en France. Une autre est de dire que cette restitution est plus qu’un symbole et traduit un retour de ces objets dans leur écrin naturel, là où elles auraient toujours dû être.
Rien n’est plus urgent que de donner les œuvres d’art béninoises aux béninois. Ceci pour que la jeunesse se les approprie et qu’ils les valorisent à leur façon. Mais, quelle est la place et l’environnement dans lequel l’art est apprécié au Bénin ?
Un désintérêt prononcé pour l’art sous toutes ses formes
Le musée est l’entité classique d’exposition et de consommation de l’art au Bénin. Et depuis la période coloniale, il n’y a pas beaucoup d’évolutions à ce sujet. Les musées sont le plus souvent des musées ethnographiques ou des anciens palais royaux ouverts au public. Il n’y a à la date de publication de ce billet ni musée public d’art contemporain, ni musée des sciences et techniques. Les politiques publiques n’ont pas fait de la conservation de l’art et de l’histoire une priorité. Preuve en est que même pour les musées existants, il n’y a pas de réelles techniques pour valoriser les objets qui s’y trouvent. Beaucoup des musées contiennent des objets d’arts complètement dégradés, faute d’entretien.
Les expositions censées durer quelques semaines ne se renouvellent pas. Les réserves sont cachées et ne sont jamais exposées dans les musées. Reste à savoir dans quel état ces réserves se trouvent aujourd’hui. A tous ces problèmes, il faut ajouter l’insécurité dans laquelle ces objets d’une valeur parfois inestimables sont conservés. On voit bien que très peu d’efforts ont été consentis quant à la construction de musées modernes ou à l’attractivité des musées classiques existants. Les quelques musées privés du pays sont bien mieux entretenus que les musées publics.
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Ce désintérêt politique a une répercussion quasi directe sur l’engouement de la population quant à l’art et à l’histoire. Dieu sait que j’ai visité des musées au Bénin. Et combien de fois je me suis senti seul et isolé dans les couloirs de ces musées. Parfois même, on pourrait croire que les cimetières sont plus animés. Les gens ne vont pas au musée. Les jeunes ne connaissent ni les musées, ni l’art béninois, ni l’histoire du Bénin. Et ce n’est pas de leur faute. Les espaces censés les habituer et les rendre aptes à ces connaissances sont dans un sale état. Je ne me souviens à aucun moment de mon parcours scolaire avoir visité un seul musée suite à une leçon d’éducation sociale. Alors que l’on nous raconte des faits historiques marquants de notre histoire, les objets d’art se détériorent dans les musées.
Plusieurs générations de béninois ont été privées du peu d’art qu’il y avait encore dans le pays. Et même s’ils voulaient le découvrir, ce ne sont pas les expositions rococo et des objets poussiéreux qu’on a envie de voir. L’autre révélateur de ce désintérêt de la population béninoise pour l’art est que le combat pour la restitution des œuvres fut essentiellement celui des béninois de la diaspora. Ce combat n’a pas été mené de bout en bout par des jeunes établis au Bénin. Ce sont plutôt des expatriés et la diaspora qui ont défendus bec et ongles ce projet de restitution.
Pour aller encore plus loin sur ce désamour de l’art, il n’est pas lié uniquement aux œuvres d’art historiques. Même l’art contemporain peine à trouver son public ici. Récemment, de jeunes artistes graffeurs ont gratifié le Bénin d’un musée à ciel ouvert : la deuxième plus longue fresque murale au monde. Malgré l’engouement que cela a suscité chez beaucoup de jeunes, il reste encore difficile d’apprécier les œuvres d’art contemporaines à leur juste valeur. La preuve, aucun établissement public de valorisation de ces œuvres n’existe. Conséquence, les quelques artistes contemporains que nous avons préfèrent se produire et présenter leurs œuvres dans des pays étrangers.
On assiste alors impuissants à la fuite d’un art qui peut bien correspondre au public béninois. Ce qu’on constate est que le Bénin est certainement le berceau du vodoun, mais pas de l’art. La restitution des œuvres pillées se fait donc dans un contexte où notre pays n’est pas doté d’infrastructures adéquates. Et aussi dans l’absence d’une attente palpable de la jeunesse. Certains diront qu’il faut déjà manger correctement avant d’aller au musée.
Ce qu’il faut faire maintenant que la restitution est une réalité
Le Bénin est un curseur de la suite ou non du mouvement de restitution des œuvres pillées par les puissances coloniales. Il est important que le retour de ces objets d’art soient non pas un retour à l’anormal, mais un retour à la normale. Cette restitution doit être l’occasion de restructurer la vie muséale de notre pays. Il faut profiter pour faire du musée une véritable attraction pour les jeunes. Cela passe par la création de nouveaux musées et l’entretien de ceux existants déjà. Il ne faudra pas non plus oublier d’intégrer la dimension contemporaine de l’art dans ce mouvement. Intégrer le musée dans l’éducation est également incontournable pour construire un attachement de la jeunesse à ces œuvres. Si nos trésors royaux nous ont été restitués, ils faut qu’ils soient aussi bien conservés et valorisés qu’ils ne l’étaient en terre étrangère. Cette restitution doit être un retour à la normale et rien d’autre, pour nous-même et pour la prospérité.
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